Quand le 27th Engineers stationnait à Charmoy. [PARTIE 3] Les témoignages

Il ne reste pas de témoins directs du séjour du 27th Engineers de l'US Army à Charmoy. Pourtant les souvenirs sont là, tapis dans la mémoire des anciens du village, à qui la génération précédente avait fait le récit de ces 30 jours qui virent le village accueillir plus de 700 soldats américains. Des échanges épistolaires ont suivi le séjour, bien des années après l'Armistice.




Nous avons classé les souvenirs et les témoignages en trois catégories. D'abord les témoignages, puis les souvenirs plus diffus et enfin, les traces restées dans le village et encore visibles aujourd'hui.

Jeanne Pernot et les fromages envoyés en Amérique


Jeanne Pernot, 94 ans est la doyenne du village en cette veille du centenaire. Elle est née en 1922 et se souvient dans ses jeunes années d'échanges de courriers entre ses parents et un ou plusieurs soldats américains. Avec ce détail étonnant: sa mère et sa tante envoyaient en Amérique des fromages de Charmoy, qu'elles faisaient elles-mêmes. Ils étaient adressés à un soldat américain qui avait gardé un souvenir ému de cet aspect gastronomique de son séjour dans le petit village.

« Oh mais je me souviens bien de ma tante qui disait « Tiens on a des nouvelles d'Amérique ». Elle habitait dans la maison en face, ils avaient accueilli des soldats. Je sais qu'elle envoyait des fromages, des Langres ».

Voici l'entretien que nous a accordé Jeanne Pernot en juillet 2018 dans sa maison de la Grand'rue.





Michel Pernot, les courriers de Philadelphie et les lits dans le grenier


Michel Pernot est décédé dans sa 90e année en février 2018. Nous l'avions rencontré en juillet 2017. Il nous avait raconté qu'en réaménageant la maison du 26 Grand'rue dans les années 50, il avait enlevé dans le grenier deux grands lits en bois qui avaient été réalisés par les soldats américains.

«C'était des lits à étage que j'ai démontés car je n'en voyais pas l'utilité. Ils pouvaient accueillir quatre soldats chacun, deux en bas et deux en haut».


Michel Pernot (Photo Famille Pernot)

L'historique du 27th Engineers fait en effet état de la construction de lits pour les soldats stationnés un peu partout dans les granges, étables et greniers du village.

Michel Pernot a également dit se souvenir de courriers entre les habitants de Charmoy et les soldats repartis de l'autre côté de l'Atlantique.

« Je me souviens aussi dans ma jeunesse avoir lu des courriers d'Amérique. Je me souviens, ils venaient de Philadelphie, ils étaient adressés à mes parents. C'était en mauvais français mais on comprenait quand même ».


Hélène Arlant, le «chaplain» et la grippe espagnole.


Hélène Arlant garde un souvenir très précis du récit que sa maman faisait du séjour du 27th Engineers de l'US Army à Charmoy.  Là aussi, il est question de courriers et d'échanges bien postérieurs à l'Armistice.

Hélène Arlant (Photo Françoise Cocagne)


Hélène Arlant:

«On avait reçu par courrier une boite à bijoux. Je me souviens bien, une belle boite à bijoux. Elle a été volée pendant la Débâcle. Maman racontait aussi qu'elle avait été soignée de la grippe espagnole par les Américains. Elle disait que ça la dégoûtait un peu, le thermomètre qui passait dans toutes les bouches. Et puis on parlait beaucoup du chaplain».



La grippe espagnole a en effet frappé le second bataillon du 27th Engineers pendant son séjour à Charmoy. Il en est question dans l'historique du régiment qui précise que les cas les plus lourdement touchés étaient transférés à l'hôpital de campagne de Langres et que cinq hommes du régiment y sont décédés de pneumonie. Le capitaine Chester Brady, en charge du détachement sanitaire s'est donc aussi occupé des civils. D'ailleurs, une autre habitante de Charmoy, Chantal Degonville (79 ans) rapporte que sa maman disait aussi avoir réchappé à la grippe espagnole.

Quant au «chaplain» qui visiblement a laissé un souvenir très prégnant, il s'agit de l'aumônier du régiment. Le lieutenant colonel G. B. Kinkead.




Les souvenirs plus diffus


D'autres traces infimes du passage des soldats américains sont logées au coeur de la mémoire collective à Charmoy.


Les cigares américains et le terrain de football


Ainsi, Jean-Pierre Arlant se souvient avoir fumé quand il était adolescent des cigares américains.
 «C'était dans les années 60, on fumait en cachette des cigares américains qu'on avait trouvés dans les greniers. Ils étaient rangés dans des tubes en aluminium, avec une bague en papier à l'endroit où on les dévissait ».

Rien ne permet spontanément de rattacher ce souvenir au passage du 27th Engineers sauf que le régiment a bénéficié de dons financés par un fond dit de confort. Ce fond, près de 20000 dollars collectés par l'Engineering and Mining Journal, a permis d'acheter du matériel sportif mais aussi du tabac. Il en est d'ailleurs question dans un courrier adressé depuis Charmoy par un officier et publié dans le journal.

 "After our channel trip and arrival in France, we had a stranguous journey to our station, but are now comfortably located in billets in an old french town. We opened the boxes and distributed the tobacco to the men today, and they were very glad to received it".


Traduction:

"Après notre traversée de la Manche, nous avons eu un voyage éprouvant jusqu'à notre gare mais nous sommes maintenant confortablement installés dans une vieille ville française. Nous avons ouvert les boites et distribué le tabac aux hommes aujourd'hui et ils furent très contents de le recevoir".


Un lieu-dit semble également faire référence à des Américains. L'anecdote est relatée par Francis Zapata, arrivé à Charmoy au début des années 60.

«Quand j'ai acheté ma maison dans les années 60, on m'a dit que derrière, au bout du chemin, c'était le terrain de football des Américains ».

Le terrain de football "des Américains" (Photo Olivier Claudon)


On sait que les nombreux soldats du 27th Engineers ont été accueillis dans les granges, greniers, étables et que les sous-officiers et les officiers dormaient dans des maisons. On sait également que le régiment a monté plusieurs tentes pour des installations collectives sans que l'emplacement ne soit connu. Il pourrait donc s'agir des terrains situés au bout de la rue de la Haie Fleuriot, au nord du village. Rien ne permet d'en être sûr, c'est une hypothèse.


A Pierrefaite, le souvenir d'un accident et d'un camion américain


Philippe Hintzy, qui habite en région parisienne est originaire de Pierrefaite, le village voisin de Charmoy. Son père, né en 1912, a été renversé enfant par un camion de l'armée américaine. Il pense que ce camion venait de Charmoy.

« Mon grand-père avait la fromagerie de Pierrefaite. Mon père, né en 1912 m'a toujours raconté un épisode qui lui était arrivé tout gamin. Il sortait de la fromagerie et il n'a pas vu un camion de l'armée américaine; il s'est fait renverser, il est passé en-dessous et s'est trouve assommé. Et le soldat américain qui se lamentait, qui disait "j'ai tué un gamin, j'ai tué un gamin". Mon père a été transporté dans la maison et tout le monde s'est aperçu avec soulagement qu'il n'était pas mort. Et puis il s'est réveillé.
 Et ensuite, l'Américain revenait tous les jours pour prendre des nouvelles. Quand les soldats sont repartis, l'Américain a laissé la camionnette à mon grand-père, ce devait être une Ford T. Il disait qu'il y en avait trop, que c'était les surplus. Mon grand-père s'en est servi pour la fromagerie. Mon père a passé son permis dessus. Il emmenait des fromages à la gare de la Ferté ou de Charmoy pour les expédier. Quand j'étais jeune, mon père me disait toujours, fais attention, ne te fais pas renverser comme moi ».

Les traces visibles encore aujourd'hui


Les signatures


Les traces emblématiques du passage du second bataillon du 27th Engineers sont bien évidemment les signatures retrouvées Grand'rue et rue du Crêt et dont nous avons déjà parlé. Ce sont elles qui ont permis de relancer les recherches sur le 27th Engineers.

Photo Olivier Claudon


Photo Olivier Claudon

Un panneau pour le cantonnement des soldats


Un panneau cloué sur une porte de grange et qui passe complètement inaperçu semble bien être lui aussi un vestige du passage du 27th Engineers à Charmoy. C'est Marcel Mochet qui l'a redécouvert par hasard. Il avait le souvenir d'un panneau similaire cloué sur la porte d'une autre maison pour indiquer la "contenance" en nombre d'officiers, de soldats et de chevaux. Ce qui lui a permis de reconnaître ce témoin silencieux et centenaire, délavé par le temps.


Photo Olivier Claudon


Ce type de panneau était un dispositif courant à l'époque quand les fermes et maisons étaient réquisitionnées pour accueillir des dizaines de milliers de soldats à l'arrière du front.

On peut observer la présence de ce type de panneau sur une photo d'époque comme la carte ci-dessous, non située et fournie par l'association du Souvenir de l'AEF en Haute-Marne.


Source Association Souvenir de l'AEF en Haute-Marne

Dans le détail, et en grossissant, on peut deviner, sur l'image ci-dessous, dans la colonne de gauche un O pour Officers, M pour Men, ou soldats du rang et H pour Horses, les chevaux. A droite sont inscrits les chiffres en rapport avec les catégories précédentes.


Maintenant, en revenant au panneau redécouvert par Marcel à Charmoy, on peut constater qu'il est similaire au précédent comme le montre le détail ci-dessous. Dans la partie supérieure apparaissent des lettres non identifiées. A gauche en-dessous, on devine le O de Officers et le M de Men et les parties supérieures du H de Horses.



Photo Olivier Claudon



Une planche apocryphe


A l'arrière d'une maison de la Grand rue se trouvait une très vieille cabane de jardin qui tombait en ruine. Les nouveaux propriétaires de la maison il y a quelques années, ont enlevé cette cabane qui s'effondrait mais ont pris soin de garder l'une des planches qui portait une inscription particulièrement intéressante.





Pour ce qui est des éléments qui apparaissent: la date mentionnée, 1919 intervient l'année après le passage des soldats du 27th Engineers.
Puis nous avons une référence explicite aux Américains avec cette expression "Vive les Américains de Charmoy". Cela peut être lu comme un hommage aux hommes du Mining Regiment qui ont passé un mois à Charmoy. Ou alors, les constructeurs de la baraque en 1919, en empathie avec les soldats qu'ils ont côtoyés pendant presque un mois, se considéraient-ils un peu comme des "Américains de Charmoy".

Il est ensuite mentionné le YMCA. C'est un détail important! Le YMCA (Young men christian association) est cette organisation chrétienne avait pour rôle d'améliorer et animer le quotidien des soldats du corps expéditionnaire américain.

L'historique du 27th Engineers fait mention des activités du référent du YMCA à Charmoy qui a dressé les tentes pour les installations collectives, notamment ce qui devait être un foyer avec différentes animations. L'historique mentionne par exemple des séances de cinématographe et le fait que la population de Charmoy y assistait avec enthousiasme.

Dès-lors on peut imaginer que le référent du YMCA avait le rôle de grand organisateur des activités ludiques et accessibles aux civils (et peut-être installées sur le "terrain des Américains" qu'on a vu plus haut et qui n'est d'ailleurs pas très éloigné du lieu où se dressait cette cabane). Ses fonctions d'animation ont pu octroyer à "Monsieur Dime", dont nous n'avons pas retrouvé d'autres traces, ni à Charmoy ni dans des archives, une certaine notoriété qui a pu aboutir à l'hommage qui apparaît sur cette planche.

Une baïonnette de l'US Army


La famille Cocagne/Lambert possède depuis des dizaines d'années une baïonnette de l'armée américaine. Un rapide examen par des spécialistes a permis d'établir qu'elle date de la première guerre mondiale. On peut dès-lors émettre l'hypothèse qu'il s'agit là d'une pièce laissée par l'un des soldats du 27th Engineers.

















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